Photos de classe manquantes

A vos archives ! Il nous manque 5 photos de classe (sur 28) des années scolaires de Louis à SFX : 1950-51, 1951-52, 1952-53, 1953-54, 1954-55. Merci de nous les envoyer scannées en 300 DPI.

lundi 25 janvier 2010

"Θάλασσα, θάλασσα !" (2e partie)

(Par Jean-Marie Klinkenberg)

Ce dont je me souviens, c’est d’abord d’une énergie. Une énergie — oserai-je le dire ? — du tonnerre de Zeus.
Cette énergie, elle s’investissait dans l’attention, dans la communication, dans la conviction.
Cette attention n’a faibli à aucun instant. Elle était sans cesse en mouvement, se portant sur les choses, mais s’adressant surtout à chacun dans la classe, mais sans que cela impliquât momeries ou câlinerie. Au cours de cette première année, je perdis pied. De Donder sut le voir. Comme il sut voir que ma principale compensation, je la trouvais au cours de natation : « là, tu es dans ton élément », disait-il, rendant au mot son sens empédoclien. Un élément où je retrouvais en effet un bonheur magmatique sur lequel un psychanalyste aurait beaucoup à dire. Mais il sut aussi être féroce pour dénoncer ma dérive. 

Commencée avec une encourageante « carte dorée » — ça ne mangeait pas de pain —, mon année vit pleuvoir les « cartes jaunes » ; le jaune : la couleur infamante du plus mauvais bulletin hebdomadaire possible (il y avait encore la « carte verte », réservée aux cas extrêmes : j’en eus, mais plus tard, et, comme disait Kipling, ceci est une autre histoire). J’ai retrouvé une de ces cartes jaunes : l’écriture y traduit incontestablement l’énergie que j’ai dite, et qui me condamne.

Cette énergie se traduisait aussi dans la passion d’enseigner. Jouer les scènes racontées, réciter les textes avec une voix de stentor, marteler les paradigmes latins, rythmer les déclinaisons : De Donder savait faire tout cela. Bien avant qu’une imposture pédagogique prétende mettre l’enfant au milieu de la classe, De Donder voulait nous faire participer. Je le revois au cours d’histoire, nous racontant l’anabase, la longue marche des dix mille compagnons de Xénophon à travers l’Anatolie (celle de Mao Tsé Tung fut aussi épique, et plus proche : mais de celle-là , il ne serait jamais question. C’était pas la matière, sans doute). Au fur et à mesure que la troupe approchait des Dardanelles (pardon : de l’Hellespont), De Donder s’animait. Souffrant de la soif, torturé par les incertitudes, il nous faisait partager le sort des Grecs. Arriva le grand moment : celui où les marcheurs arrivent en vue de la mer. « Thalassa ! La mer ! Pour un Grec, c’est comme sa patrie ! Vous vous imaginez, alors, leur délire — ‘thalassa ! thalassa !’ — et comment ils s’embrassaient ! » Etre seul à vivre la scène dut apparaître insupportablement minable à De Donder. Il s’improvisa metteur en scène : allez, allez ! hop ! tous là de ce côté de l’estrade ! Vous avancez côté cour, hagards — allez, plus hagards que ça ! —, vous titubez, vous vous trainez — allons, Maurice, par terre ! Guy, titube te dis-je ! —. Et puis tout à coup, vous voyez la mer ! Allez, sautez de joie, hurlez : « thalassa ! thalassa ! ». MAIS HURLEZ DONC !!! J’étais là, sautant comme un cabri, profitant d’une liberté qui ne nous était que rarement octroyée, beuglant mes premiers mots de grec (que j’avais déjà appris avec les chromos Liebig). Mais en même temps un peu gêné de me donner ainsi en spectacle. Pourquoi pas un tutu ou une plume dans le cul, tant qu’on y était ?
Ce furor pedagogicus atteignait-il toujours son but ? Ce qui m’en fait douter est cet autre souvenir. De Donder nous expliquait une délicate règle de grammaire latine. Déjà pas facile de la comprendre. Mais en plus, il fallait la mémoriser. Pour fixer définitivement la règle dans nos petites cellules grises, il monta sur son bureau. Son cahier ouvert en équilibre sur son crâne, il se tint alors sur une seule jambe. Il leva l’autre, et fit passer un bras en dessous de la jambe levée, doigt pointé. Puis, l’autre doigt levé en l’air, il énonça à nouveau la règle, avec lenteur. Devant la classe ahurie, il redescendit alors prestement de son perchoir et lui dit : « Comme cela, vous ne l’oublierez plus jamais ». Effectivement, je n’ai jamais oublié. Jamais oublié mon professeur en équilibre sur son bureau, avec son livre sur sa tête (chose que nous ne nous serions jamais permise), ça oui. Mais je n’ai gardé aucun souvenir de la règle que cette scène était supposée fixer dans nos mémoires. Je me souviens vaguement qu’il y avait là quelque chose « d’indirect » (d’où le bras passant sous la jambe), mais du diable si je sais quoi.

(à suivre)
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Annexe de PB pour les nostalgiques :
Anabase, Livre 4, chapitre 7 :
On arriva le cinquième jour à la montagne sacrée qui s'appelait le Mont Techès. Les premiers qui eurent gravi jusqu'au sommet aperçurent la mer et jetèrent de grands cris : ils furent entendus de Xénophon et de l'arrière‑garde. On y crut que de nouveaux ennemis attaquaient la tête de la colonne car la queue était harcelée et poursuivie par les peuples dont on avait brûlé le pays. L'arrière‑garde leur ayant tendu une embuscade en tua quelques-uns, en fit d'autres prisonniers, et prit environ vingt boucliers. Ils étaient de la forme de celle des Perses, recouverts d'un cuir de bœuf cru, et garni de ses poils. Les cris s'augmentèrent et se rapprochèrent, car de nouveaux soldats se joignaient sans cesse en courant à ceux qui criaient. Leur nombre augmentant, le bruit redoublait, et Xénophon crut qu'il ne s'agissait pas d'une bagatelle. Il monta à cheval, prit avec lui Lycius et les cavaliers grecs  et courut le long du flanc de la colonne pour amener du secours : il distingua bientôt que les soldats criaient "La mer ! La mer, !" et se félicitaient les uns les autres, alors arrière‑garde, équipages, cavaliers, tout courut au sommet de la montagne. Quand tous les Grecs y furent arrivés, ils s'embrassèrent, ils sautèrent au cou de leurs généraux et de leurs chefs de lochos, les larmes aux yeux.
[4.7.21] κα φικνονται π τ ρος τ πμπτ μρ· νομα δ τ ρει ν Θχης. πε δ ο πρτοι γνοντο π το ρους κα κατεδον τν θλατταν, κραυγ πολλ γνετο. [4.7.22] κοσας δ Ξενοφν κα ο πισθοφλακες ᾠήθησαν μπροσθεν λλους πιτθεσθαι πολεμους· εποντο γρ πισθεν κ τς καιομνης χρας, κα ατν ο πισθοφλακες πκτεινν τ τινας κα ζγρησαν νδραν ποιησμενοι, κα γρρα λαβον δασειν βον μοβεια μφ τ εκοσιν. [4.7.23] πειδ δ βο πλεων τε γγνετο κα γγτερον κα ο ε πιντες θεον δρμ π τος ε βοντας κα πολλ μεζων γγνετο βο σ δ πλεους γγνοντο, [4.7.24] δκει δ μεζν τι εναι τ Ξενοφντι, κα ναβς φ ππον κα Λκιον κα τος ππας ναλαβν παρεβοθει· κα τχα δ κοουσι βοντων τν στρατιωτν --θλαττα θλαττα κα παρεγγυντων. νθα δ θεον πντες κα ο πισθοφλακες, κα τ ποζγια λανετο κα ο πποι. [4.7.25] πε δ φκοντο πντες π τ κρον, νταθα δ περιβαλλον λλλους κα στρατηγος κα λοχαγος δακροντες.

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